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Renaissance - Page 5

  • L comme Lépante

    « Nous avons gagné, nous avons gagné ! » a crié un jeune homme dans les rues de Venise. A travers les canaux, sur la place Saint-Marc, aux fenêtres des palais, le bruit s’est répandu à la vitesse de l’éclair. La république de Venise a triomphé ; on parle même d’une victoire écrasante, historique, face aux Turcs. Peut-être cette fois-ci va-t-on enfin faire cesser leur contrôle indécent de la Méditerranée.

    En ce qui me concerne, j’ai toujours fait du bon négoce avec les Ottomans : je leur vends des tissus précieux et du verre et leur achète soie, épices et cuir, dont je revends ensuite une partie vers l’Occident. Autant le dire, mon commerce est extrêmement florissant. J’ai fait bâtir dans le quartier du Rialto un palais si beau que même le doge me l’envie. Mes fêtes sont parmi les plus courues de tout Venise ; on y admire des festivals de tenues plus éblouissantes les unes que les autres et on y mange des plats au raffinement sans pareil. Sans toutes nos importations venues droit de la Sublime Porte, notre luxe serait bien moins éclatant, je le concède.

    Enfin, on ne pouvait plus les laisser agir ainsi en toute impunité. Régulièrement à nos oreilles nous revenaient des récits effroyables de razzias turques en Méditerranée : des navires assiégés, des marchandises entièrement pillées et des hommes assassinés… De la mesure, que diable ! Et voilà, qu’ils avaient pris Nicosie, saccagé la ville et massacré ses habitants. Malgré tout le respect que j’ai pour les Ottomans, c’en était trop, et je dois dire qu’à l’instar de nombreux riches Vénitiens, je m’étais réjoui aux échos de la création de la Sainte-Ligue.

    Une défaite en bonne et due forme, une raclée en somme, calmerait peut-être leurs ardeurs de conquête et nous laisserait du champ pour étendre nos commerces. Alors quand ce jour-là j’entendis ces cris de victoire, je demandais aussitôt aux valets de sortir quelques bouteilles de prosecco ; un messager partait quant à lui inviter quelques négociants amis.

    Ce soir-là, autour d’une table bien garnie, le vin coula à flot ; on célébra Don Juan d’Autriche, Pie V, la Sérénissime et les vaillants soldats morts au combat. Nous imaginions déjà nos coffres toujours plus remplis. Lépante méritait bien plusieurs brindisi !"

     

    Mémoires (un peu fictives) de Giacoppo Alidosio, marchand à Venise, octobre 1571
    (qui n’imaginait pas que malgré la victoire, Venise continuerait à décliner)

    La bataille de Lépante - Véronèse.jpg

    La bataille de Lépante par Véronèse (1572)

     

    Et puis, pour en savoir un peu plus... Lépante par Fernand Braudel (archives INA), la bataille en détails !, et pour les plus curieux Contribution à l'étude du commerce vénitien dans l'Empire Ottoman au milieu du XVIe siècle

  • K comme Karat

    J’avais remarqué depuis plusieurs jours les volets fermés. Ma meuf m’avait dit « Occupe-toi de tes oignons » ou «  Plus commère que toi, tu meurs », un truc du genre. Enfin, moi, je le savais bien, que les voisins du 3e étage dans la tour d’en face, ils ouvraient toujours leurs volets à 7h15 pour les fermer à 21h. Hiver comme été, des vraies pendules. Elle, je l’avais entrevue plusieurs fois dans l’embrasure de sa fenêtre. Une jeune dis donc. Moi au début, j’étais convaincu que pour vivre de manière aussi réglée, ils ne pouvaient être que des petits vieux casaniers (bon, ils auraient aussi pu être militaires, mais un couple de militaires dans ce quartier, ça s’était jamais vu). Enfin, en tout cas, elle était jeune, plutôt mignonne même, une petite brune assez mince m’avait-il semblé. Son gars, non, jamais vu. Juste une fois, alors qu’elle fermait les volets, je l’avais entendu qui criait : « Bordel, je t’avais dit pas de coups ! ». Je sais pas à qui il parlait. À elle ?

    Mais bon, là ces volets fermés, c’était quand même bizarre. « Et les vacances, me disait ma meuf ? Tu crois pas qu’ils ont parfois des vacances ! ». Moi ce que je dis c’est que ça fait un an qu’ils vivaient là et jamais ils s’étaient cassés. J’élaborais des tas de scénarios insensés. Cambriolage qui aurait mal tourné ; crime passionnel ; fuite de gaz ; je voyais un truc dramatique, peut-être que j’avais trop souvent regardé « Faites entrer l’accusé ».

    Et puis un jour, c’était un samedi, y’a plusieurs fourgonnettes de policiers qui ont débarqué en bas de leur immeuble. Quelques minutes plus tard, les flics ouvraient les volets. Par la fenêtre ouverte, je les ai matés, ils fouillaient partout ! « Ah tu vois, je répétais à ma gonzesse, je le savais ! ». Je surveillais bien la porte d’entrée de l’immeuble, je les imaginais déjà sortir des corps dans des bâches en plastique noir. Mais rien, ils ont juste refermé les volets, et mon pote Tommy qui habite dans cet immeuble au 1er étage m’a quand même dit qu’ils avaient « posé des scellés ». C’était cool ça déjà, ambiance « Les experts », ma série télé préférée.

    Le lundi, les journaux du coin titraient : « Les voleurs de la place Vendôme identifiés, mais en fuite ! ».
    Leur butin : plusieurs millions d’euros en pièces d’orfèvrerie. Des carats, en veux-tu, en voilà.

    Putain, j’ai soupiré.

     

    Karat, premier des trois seuls mots commençant par K figurant dans le dictionnaire de Jean Nicot

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    Bijoux de Cartier exposés au Grand Palais en 2013

  • J comme "Je sais bien ce que je fuis, et non pas ce que je cherche"

    J’ai mis un point sur un i,
    pas d’envie, pas d’envie,
    Trop de soleils en berne,
    De moments ahuris

    Des danses qu’on rêve,
    Des plaies qu’on panse,
    Des fois sur la ligne,
    Juste un profond silence

    Alors, à l’autre bout, de l’autre côté,
    Il y aura la mer, il y aura de l’or,
    Des cœurs amènes et des instants plus forts

     

     

    La citation utilisée en titre est extraite des Essais de Montaigne, III, 9 (écrits entre 1572 et 1592)

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    Oeufs sur le plat sans le plat - Salvador Dali

  • I comme Icare

    - Il l’a bien mérité quoi qu’il en soit, répondit le Jeune

    - Penses-tu ? dit le Vieux en fronçant les sourcils. N’est-ce pas justement un souci de ton âge ? Tout tenter, prendre des risques, s’imaginer des ailes…

    - Mais tu vois bien qu’il a eu tort, le châtiment le prouve et…

    - C’est croire que la Justice toujours raisonne

    - Mais il a fauté ! La transgression, voilà ce qu’il cherchait ; toucher le ciel, comme si nous n’étions que des purs esprits, mais nous sommes la terre, la boue, la poussière ; il faut s’atteler uniquement à notre quotidien, vivre humblement à la hauteur de ce que nous sommes. Mortels.

    - Quel triste monde que le tien, plein de pêchés d’orgueil. Mais si la démesure était du courage ? Le haut-volant, l’espoir ?

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    Pieter Bruegel l'Ancien, la Chute d'Icare - 1558

    Lire aussi "Icare est chu", de Philippe Desportes (1546_1606)


  • H comme Honte

    « Voleur ! Diable ! Maudit escroc ! Assassin ! », les insultes pleuvaient sur lui. A l’entrée du tribunal, dans les courriers reçus par les juges, sur les graffitis qui maintenaient recouvraient les murs d’enceinte de sa riche résidence. Pendant près de 20 ans, il avait consciencieusement dépouillé des milliers de « victimes », qui avaient investi en lui leur confiance, et surtout leurs économies. Ah le beau parleur ! Toujours habillé d’un élégant costume Prada, gris de préférence, mais rehaussé par une cravate jaune ou orange (de l’or, voici de l’or !), il subjuguait petits et gros épargnants par son assurance, sa culture –on ne peut quand même pas la lui enlever-, sa connaissance parfaite des rouages financiers –comment sinon ?-, et ce sourire de bienveillance qui ne le quittait jamais. « Je vais changer votre vie, croyez-moi », leur disait-il. Oh les incrédules ! Pourquoi la foi est-elle parfois si négligente ? En effet 20 ans après, leur vie était changée. Les plus chanceux avaient peut-être mis leurs œufs dans plusieurs paniers, mais nombreux étaient ceux qui n’avaient plus un penny pour leur retraite… Une vie d’économie engloutie ; la faute à Ponzi avaient-ils appris…

    Quant au voleur, au maudit escroc, à l’assassin, il était maintenant derrière les barreaux. La justice avait agi. Mais dans le secret de sa cellule, il continuait encore à se frotter les mains : « Quand même, je les ai bien eus ! ». Des remords, de la honte ? Nada, rien !

    Et dire que certains se flagellent pour un petit billet chapardé un jour de grand besoin.
    La honte, hélas, est bien mal répartie.

    D’accord… Le mot « honte » existait bien avant la Renaissance. Mais je voulais parler de honte, alors rétro-pédalage au Moyen-Âge, où surgit aux alentours du XIe siècle, nous dit Littré, la « hunte ».

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    Ambiance Pyramide de Ponzi...