Quand j’étais à New York en décembre, je suis allée voir une belle expo organisée par l’International Center for Photography sur le thème "Dress Codes". En passant par la boutique, à la fin de l’expo (passage incontournable désormais…), je me décidais à acheter "On photography" l’essai-culte de Susan Sontag consacré à… la photographie, on l’aura compris ! Je trouvais en même temps un autre ouvrage plus récent du même auteur intitulé "Regarding the pain of others".
Comme ma flemme est légendaire, je commençais naturellement par le plus court des deux, celui consacré au regard porté sur la souffrance des autres. Le thème de ce livre est la photographie de guerre, et même si j’ai eu un peu de mal avec la structure décousue de l’ouvrage, j’ai trouvé les analyses pénétrantes.
Comment la photographie de guerre a-t-elle révolutionné la perception-même que l’on a de la guerre ? Quel est son rôle (dénonciation, propagande, "appel à la paix", "cri de revanche", outil de vente pour médias et lecteurs en quête de chocs, support de mémoire, support d’action) ? La photographie de guerre échappe-t-elle à l’esthétisme ? Est-elle purement objective (sacrée illusion, la photo objective) ? Que dit-elle de l’homme (celui qui prend la photo, celui qui la commandite, celui qui la regarde)?
Sontag n’a pas écrit ce livre sur son simple savoir encyclopédique. Elle l’a aussi écrit, car elle a connu la guerre, une guerre toute proche et pourtant si lointaine. Elle a vécu dans Sarajevo assiégée. Ce qu’elle dit sur notre innocence, notre incrédulité face à l’image de guerre me semble particulièrement juste : "Someone who is perennially surprised that depravity exists, who continues to feel disillusionned (even incredulous) when confronted with evidence of what humans are capable of inflicting in the way of gruesome, hands-on cruelties upon other humans, has not reached moral or psychological adulthood. No one after a certain age has the right to this kind of innocence, of superficiality, to his degree of ignorance or amnesia. […] The images say: This is what human beings are capable of doing – may volunteer to do, enthusiastically, self-righteously. Don’t forget."
Il se trouve que la Fondation Agnès b. présente à Paris en ce moment-même une expo intitulée "Notre histoire" (Bosnie –Herzégovine 1992-1995), consacrée à cette guerre européenne à l’orée du XXe siècle. Je ne pouvais pas ne pas y aller.
Les photos de Gérard Rondeau m’ont paru extraordinaires : Sarajevo est peuplée de fantômes, le ciel est noir, bas, il fait froid, dans des ruines éventrées, un homme semble regarder son monde écroulé. La guerre n’est pas exposée ici dans sa crudité violente, pas de sang, pas de cadavres; juste la couleur de l’univers après.
Et puis chez d’autres, il y a cette réalité de l’affrontement et du meurtre quotidien : des snipers dans des chambres désertées (James Nachtwey), des corps ensanglantés sur la route abandonnés à leur sort (Patrick Chauvel), et les très symboliques icônes brisées ou fusillées (Tito : ton empire est devenu enfer…).
Le témoignage est essentiel, et il faut toujours espérer qu’il fasse changer les choses.
Et comme décidément, il y a parfois des périodes de vie où les sujets vous prennent d’assaut, j’étais tranquillement en train de choisir un livre pour une amie il y a peu dans une librairie de Bastille, lorsque mon regard était attiré par un titre plaisant "Paysage avec palmiers". Le libraire, un de ces libraires que j’aime, complètement passionné par ses livres, s’approche de moi, et me dis que je tiens un chef d’œuvre dans mes mains. Comme cela parle de guerre et que le sujet n’est pas forcément adapté pour un cadeau à une amie, je le prends pour moi.
Ce "récit" signé Bernard Wallet me cloue par sa puissance poétique et l’extrême violence qu’il incarne : la guerre au Liban, une boucherie sans nom, la dignité de l’être humain envolée en fumée, longtemps après avoir refermé le livre, des images restent de l’horreur, "ce que l’être humain est capable de faire, parfois en se portant volontaire, avec enthousiasme et auto-satisfaction". Comme le dit Sontag "don’t forget".
La question est : quel moyen d’agir ? à suivre…