UA-113291451-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Bagnard

Plongée dans l'univers des bagnes de Guyane...

Ahn-Dong est arrivé au bagne en octobre 1936. Un soir de septembre, il avait été arrêté par les colons dans un fumoir de Huê, où il avait retrouvé quelques amis pour leur annoncer la naissance de son 2e fils : Nôc, l’enfant du vent. Pour une fois, rien de politique à leur rassemblement. Juste un verre d’alcool de riz et un poulet à la papaye verte, histoire de célébrer.
Lorsque la police française est arrivée, ils n’ont même pas eu le temps de bouger ; ils avaient leur verre à la main, le sourire aux lèvres. On les a mis en joug. Silence de mort. La pluie crépitait dehors. Et plus d’un mois après, ils arrivèrent Dieu Sait où !
Le ciel était bleu mais l’air si humide, Ahn-Dong était déjà épuisé. Il avait le visage tuméfié et des marques de violences sur le dos. Il n’avait connu Nôc que 2 jours.

Dans le camion où ils furent bientôt entassés, l’un de ces compagnons d’infortune crut entendre leur geôliers prononcer le nom « Caï-Ehn » , un nom étrange et étranger, qui signifiait à lui seul la distance insupportable qui des leurs les séparait. Après les rumeurs de la ville, ils n’entendirent bientôt plus que la forêt résonner. Brinquebalés sur la piste, les voilà couverts de sueur, craignant pour de bon, le pire.

On les fait descendre enfin et partout alentour ne se dressent que les silhouettes autoritaires d’arbres vigoureux. On les fait pénétrer dans cet antre vertigineux et aussitôt, fin du ciel bleu. Seule une voûte verte inextricable. La perspective se fait cauchemar.

camp_de_crique_anguille_Guyane.jpg

Ahn-Dong : Au début, j’ai compté les jours et après 496, j’ai arrêté. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être pour ne plus réaliser la fuite du temps. Nôc a plus de deux ans désormais. Saurai-je jamais à quoi ressemble son sourire ?

Ahn-Dong (plus tard dans le temps) : hier, on m’a annoncé la fin de ma peine. Depuis mon arrivée, j’ai coupé plus de 3722 arbres (après 3722, je n’ai plus compté), j’ai posé près de 10 kms de rails (après 10 kms, on m’a remplacé). J’ai cru que la fièvre m’emporterait bien des fois. Mon corps semble aujourd’hui immunisé contre toutes les piqûres, contre toutes les morsures, quelles qu’elles soient. Je n’ai plus que la peau sur les os. Je survis.
L’administration pénitentiaire m’offre un lopin de terre près du bagne. Valoriser le territoire ils n’ont que cette expression à la bouche. Ce n’est pas le territoire que je voudrais valoriser, c’est ma vie. On me promet que ma famille viendra sous peu me rejoindre. Pour la première fois, depuis des jours et des jours, je recommence à espérer.

Ahn-Dong (après de longs mois) : j’ai déboisé mon pré carré, tenté d’y faire pousser quelques cultures qui permettraient d’assurer la subsistance de ma famille. Nous sommes une quinzaine dans ce cas. La plupart des autres sont morts avant la fin de leur peine. J’attends depuis plus d’un an et rien ne se passe. Je n’y arrive plus. Vivre loin d’eux. Ne pas savoir ce qu’ils font, comment ils vont, mais le pire : pensent-ils encore à moi ? Ai-je disparu de leur vie ?
Cette question lancinante m’anéantit. Ce soir, c’est décidé. Je pars.


La poignées d’Annamites qui resta en Guyane n’eut plus jamais de nouvelles d’Ahn-Dong préférant espérer qu’il avait retrouvé Nôc et son épouse, qu’il vivait heureux, qu’il avait tourné la page et qu’il pensait à eux en fumant la pipe dans les rues de Huê.

Les commentaires sont fermés.