Avant de partir, je voulais lire ce que d’aucuns considèrent comme la Bible du récit de voyage : L’Usage du Monde, de Nicolas Bouvier (un très grand merci à Marie qui me l’a recommandé et offert).
Bouvier et son acolyte Venet ont pris une route sans rapport avec la mienne, allant des Balkans à l’Afghanistan, mais ici peu importe la route ; ce qui rend bien sûr Bouvier si précieux, ce sont ses réflexions sans concession sur le voyage et l’homme. Quelques citations.
* Fainéanter dans un monde neuf est la plus absorbante des occupations.
* Toutes les manières de voir le monde sont bonnes pourvu qu’on en revienne.
* Le voyage fournit des occasions de s’ébrouer mais pas – comme on croyait – la liberté. Il fait éprouver une sorte de réduction ; privé de son cadre habituel, dépouillé de ses habitudes comme d’un volumineux emballage, le voyageur se trouve ramené à de plus humbles proportions. Plus ouvert aussi à la curiosité, à l’intuition, au coup de foudre.
* Il est temps de faire ici un peu de place à la peur. En voyage, il y a ainsi des moments où elle survient, et le pain qu’on mâchait reste en travers de la gorge. Lorsqu’on est trop fatigué, ou seul depuis trop longtemps, ou dans l’instant de dispersion qui succède à une poussée de lyrisme, elle vous tombe dessus au détour d’un chemin comme une douche glacée. Peur du mois qui va suivre, des chiens qui rôdent la nuit autour des villages en harcelant tout ce qui bouge, des nomades qui descendent à votre rencontre en ramassant des cailloux, ou même peur du cheval qu’on a loué à l’étape précédente, une brute vicieuse peut-être et qui a simplement caché son jeu.
* Moi je crois plutôt ceci : des paysages qui vous en veulent et qu’il faut quitter immédiatement sous peine de conséquences incalculables, il n’en existe pas beaucoup, mais il en existe. Il y en a bien sur cette terre cinq ou six pour chacun de nous. [c’est un passage étonnant de L’Usage du Monde, à mes yeux d’autant plus étonnant que ces mots naissent à Ispahan, qui dans mon imaginaire au moins, est une ville bouleversante de beauté].
* (Au Pakistan, à propos des Baloutchs)
Cette gaieté est une vertu cardinale. Plusieurs fois à Quetta, j’ai vu des vieillards d’une grande noblesse tomber de leur vélo Raleigh, terrassés par le rire, parce qu’une plaisanterie lancée d’une boutique les avait atteints au cœur. [j’imagine cette scène formidable]
*Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu’on porte en soi, devant cette espèce d’insuffisance centrale de l’âme qu’il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr.
Il faudra lire aussi le Poisson-Scorpion
Commentaires
Tu pars bien armée de l'usage du monde, j'en suis contente. Inquiétude : n'étant pas dans l'album, j'ai pensé que je devais t'envoyer ma photo, histoire qu'une femme-mama, qui coure avec les loups, jette un oeil très bienveillant sur tes galipettes worldwide. Où dois-je envoyer cette photo ? Je te souhaite d'être terrassée par de nombreux fous-rires et d'être touchée par la grâce multiple. Bonne idée ce beau blog mais n'abuse pas des langues étrangères ou j te réponds en patois. Quant à moi : J -1 !!!!!