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estancia viejo puesto

  • Sur l'estancia jésuite de la Candelaria

    Je quitte Capilla del Monte peu avant midi, en direction de Cruz del Eje. Je dois y retrouver Virginia, la propriétaire d’une estancia perdue au fond de la Sierra. Elle vient justement acheter des graines pour ses poules et je peux donc profiter du déplacement pour rentrer avec elle jusqu’à l’estancia. Je l’attends dans la gare routière de Cruz del Eje, indolente et endormie. J’ai encore du mal à respirer, mes poumons dans une cage, ne rien faire, laisser le temps soigner.

    Virginia arrive avec sa chemise de bûcheron, rose et violette. Sans conteste, c’est une forte femme. Des cheveux aux reflets roux ondulés, des lunettes rectangulaires sévères, et un gros pick-up rempli de sacs de graines. On cale tant bien que mal ma valise à l’arrière, et en route vers Puesto Viejo.

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    Nous avons un peu plus d’1h de voyage avant d’arriver. C’est l’occasion de découvrir le parcours hors-norme de la propriétaire. Virginia a un patronyme français, son arrière grand-père était bourguignon ; elle parle d’ailleurs français, ce qui est plutôt une exception. Les langues se perdent si vite au rythme de l’intégration. Il y a 15 ans environ, elle a décidé d’acheter une estancia dans la sierra de Cordoba, ou elle s’installe divorcée, avec ses trois garçons. L’estancia Puesto Viejo était l’un des postes d’une vaste estancia jésuite de 300 000 ha : la Candelaria.

    Pendant 8 ans, Virginia a travaillé comme guide touristique dans la région de Cordoba, et un jour à l’occasion d’une sortie à cheval avec un groupe, elle arrive là au beau milieu de la sierra, sur un terrain abandonné avec un petit rancho en ruine. Ce lieu, elle en a rêvé et il est soudain sous ses yeux. Le ciel a perte de vue, les champs plutôt verdoyants, les montagnes pleines de mystères dans tous les horizons, le fleuve et ses gros rochers en contrebas, les chants d’oiseaux, l’âme du lieu.

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    Corral estancia.JPG

    Le fleuve puesto viejo.JPG

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    Virginia se renseigne et finit par acquérir le terrain ou elle fait construire sur les fondations du rancho existant, son estancia : Puesto Viejo. Elle construit sa maison fidèle à son « rêve ». Il ne faut jamais cesser de rêver, car de la seulement surgissent nos réalités concrètes. Le rêve est une projection du futur. Forme de l’idée. Il y a quelque part dans nos cerveaux cette faculté inouïe à dessiner ce qui nous rend heureux. On ne le voit pas toujours. On ne s’écoute pas toujours.

    Pour arriver à l’estancia, nous traversons d’abord San Marcos Sierra, un très joli pueblo aux maisons colorées. Les habitants ont dans un vote refusé que la route soit asphaltée. Plus hippie que San Marcos ne se fait pas, me dit Virginia. Un jour, je pourrais y revenir et m’asseoir à l’une des terrasses le long de la place. Nous empruntons ensuite un chemin de terre qui s’enfonce dans la Sierra.

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    Il est vraiment difficile de décrire ces paysages sublimes et étranges. Un chemin de terre et rocailleux (emprunté par le Dakar et par un moto-cross international) court sinueux dans une végétation sèche et résistante. On grimpe, on descend, avec derrière chaque virage de nouvelles surprises, un nuage inattendu sur un ciel bleu tranchant, une ligne de montagne fortuite, et plus loin encore le fleuve qu’on traverse a cru. Soleil de fond. Sans même se concentrer, vous sentez les particules de lumière. La lumière traversante, les corps non pas incandescents, mais absorbants. Tout est lumière (le chien a mes pieds s’étire dans un grognement, il s’appelle India, ce chien blond perdu en terres indiennes).

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    Bientôt le portail est la : Estancia Puesto Viejo. Encore quelques centaines de mètres et nous arrivons au fond d’un petit vallon. Un enclos a poule, des chevaux et des vaches qui paissent, une chèvre engrillagée pour échapper au puma, et la maison avec ses barrières de bois qui racontent des tas d’histoires.

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    Le vent se lève. La poussière se soulève. Les feuillages murmurent. Notre surdité est probablement effarante, tout comme notre aveuglement. Trop de lumières électriques, de klaxons, d’ondes radiophoniques, trop de phares, trop de néons, trop de vacarme, trop de conversations (j’imagine Times Square, que j’aime pourtant, mais n’est-ce pas notre peur de la finitude qui nous oblige a remplir les espaces, les silences ?).

    Dans une petite maison à peine à l’écart, vit Daniel, l’aide de Virginia. Il s’occupe avec elle des 50 têtes de bétail. C’est une vie, qui pour tout étranger parait étrange, pour cet homme aux yeux clairs natif de la Sierra. Mais lui est heureux dans ses montagnes avec ses chevaux et rien d’autre (enfin, tout le reste : l’horizon et la liberté).

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    Je pars bientôt vers le sentier du fleuve, les chiens m’accompagnent ; nous rencontrons les chevaux et les vaches, tranquilles, imperturbables. Juste quelques pas de côté pour me céder la place sur le chemin. Un regard en coin pour s’assurer que l’inconnu n’est pas porteur d’un danger et bientôt de nouveau sous la dent, l’herbe sèche.

    Il faut voir le plaisir des chiens s’ébrouant dans l’eau. Ces fleuves de sierra où semblent tombés des gros cailloux comme pour jouer à cloche-pied sont un miracle d’harmonie. La roche arrondie par l’érosion, les quartz qui brillent de mille feux, au fond de l’eau, sur les chemins, les arbres qui y plongent, le ciel qui s’y regarde. Il n’y a pas plus élégante composition. La peau brûle et le cœur soupire.

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    Peu avant le tomber du soleil, j’irai encore marcher, reviendrai de là où nous sommes arrivées pour surplomber le paysage et voir tant de silence s’étirer. Je repense sans cesse à ce slogan publicitaire si bien trouvé « Le ciel est le plus bel endroit de la terre ». Dans ma marche, je dérange un gros oiseau qui s’envole : ce pourrait bien être une bartavelle, si nous étions au pays de Pagnol.

    Je rentre bientôt, la nuit a pris place : le croissant de lune éclaire presque autant que l’électricité solaire. Virginia me prépare une milanesa servie avec un « vinito » ; la vie et ses options.

    Dans la chambre aux épais murs de chaux, je lis quelques pages de Tom Sawyer et m’enfonce bientôt, mais d’un pas léger vers le sommeil.

     

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